Othélie : “Faire de la musique me permet de mieux me comprendre”

Crédits : Igor Kov, pour Shimmya

La chanteuse Othélie a sorti son premier EP, “PŒSI”, le 3 mai dernier. Après plusieurs années à maturer son art porté vers une musicalité impériale, l’artiste a changé de cap et de langue. Fini l’anglais de ses débuts, place au français, sa langue maternelle. Un choix pas anodin qui l’a poussée vers l’authenticité pour faire une “musique qui [lui] est propre” en puisant dans la Soul, les comptines italiennes et le R&B. Rencontre.

Plusieurs singles de l’EP sont sortis depuis près d’un an, “Martini” avait même un snippet datant de 2022. À quand remonte ta volonté de faire cet EP ?

Le point déclencheur, c’est quand j’ai commencé à écrire mes premières chansons en français, il y a environ trois ans. À la base, je ne chantais qu’en anglais. Quand j’ai rencontré mon producteur actuel, il m’a dit qu’il me produisait à condition que j’écrive en français. À partir des quelques chansons que j’avais faites, j’ai écrit un storytelling par rapport à ce que je voulais raconter dans cet EP. Après, ça été très facile dans le sens où exploiter le français en partant de thématiques sur lesquelles j’avais l’habitude d’écrire en anglais, c’était un gros exercice mais ça a rendu ma musique beaucoup plus authentique. C’est devenu une musique qui m’est propre plutôt qu’une musique propre à ce que j’aime écouter.

Tu as le sentiment de t’être trouvée musicalement avec ce changement ?

Oui, j’ai vraiment trouvé comment inventer une musique qui n’existe pas et qui me ressemble vraiment. C’était difficile car chanter en français, ça demande beaucoup de lâcher prise. C’est ma langue maternelle donc le public ou ma famille me comprend forcément beaucoup plus. Les mots sonnent plus justes, il ne faut pas être pudique ou timide. C’est difficile parce que je trouve qu’en France, nous avons peu de créneaux R&B/Soul. En le faisant, tu t’éloignes de ce que tu as l’habitude d’écouter, mais c’est archi stimulant comme recherche.

Ecrivais-tu déjà des textes avant de commencer la musique ? Je m’interrogeais en écoutant “SIAMAJ” un morceau saccadé qui donne l’impression que tu reviens à la ligne à chaque phrase.

Bizarrement, je n’ai jamais écrit de la poésie. J’ai souvent écrit mes pensées, des choses que je ressentais car ça m’aide à extraire beaucoup de choses. J’ai d’ailleurs commencé la musique avant l’écriture, ce qui m’intéressait le plus c’était la musicalité donc c’est limite si je bâclais mes textes. Mon objectif est de faire ressentir des émotions par la musicalité. J’écrivais en anglais car c’était une zone de confort, je pouvais parler de ce que je voulais. On ne prêtait pas forcément attention à ce que je disais, même moi. Quand j’ai commencé à écrire en français, j’ai eu en revanche cette exigence de justesse. Il fallait que ce que je dise vaille la peine d’être entendu. Ce qui m’a conduit vers une écriture métaphorique, dont j’essaye de m’éloigner un peu aujourd’hui. J’essaye d’être plus directe.

Par rapport au fait de chanter en français, tes textes naissent-ils naturellement ou ça va te demander plus de travail ?

Avant, je faisais mes toplines en anglais pour faire en sorte que ce soit plus instinctif. Après, j’essayais de remplacer les mots en anglais par des mots en français. C’était très mathématique. En ce moment, je mets mon téléphone à côté de moi avec l’enregistreur et je dis un tas de pensées qui me passent par la tête en français. Ce truc très instinctif me fait être beaucoup plus juste envers moi-même. Parfois, je réécoute un enregistrement et je me dis : “Là, j’ai dit une dinguerie.” Quand tu ne réfléchis pas, c’est là que tu dis des folies. Parfois, tu en as un peu honte, “ça fait peur que je ressente des choses comme ça”, parfois tu dis que c’est plus simple que si tu l’avais travaillé. Je trouve que maintenant, ce travail marche mieux. C’est sûrement moins léché et sophistiqué mais ça me rend plus juste dans mes textes.

Dans tes prochains morceaux, tu voudrais donc aller vers une écriture brute ?

Je ne sais pas encore. Ça fait un mois seulement que j’ai commencé à le faire. Pour le moment, ça me plait, mais je ne l’imagine pas en produit fini. Pour le coup, “poesi” est très travaillé. Chaque chanson a une thématique, chaque thématique est expliquée en étant le plus efficace possible et je n’ai pas fait d’écart sur ce que je voulais dire sur chaque chanson.

Dans quel contexte préfères-tu écrire ?

Je suis toute seule, solitaire à 100%. J’ai trop du mal à être avec des gens lorsque je crée. Le meilleur endroit est ma chambre. Je suis dans une bulle et je ne pense qu’à ce qu’il y a dans ma tête. Dès qu’il y a quelqu’un avec moi, même une présence bienveillante, j’absorbe les énergies des autres et je suis moins juste avec moi-même. J’ai plus peur de me tromper. Comme ma musique est très introspective, ça fait sens d’être seule. En revanche, pour “Martini”, je me suis retrouvée en session studio avec un ami et on a fait le morceau en une heure, parce que c’était juste une vibe. On a ressenti la musique sans la réfléchir, ça m’a grave amusé de le faire. Mais dans la musique qui me libère, j’ai besoin d’être seule.

Sur “Martini” justement, ou sur “Ultrasensible”, tu laisses une belle place aux instruments, au saxophone en particulier. Dans ton approche musicale, quelle place ont les musiciens ?

J’ai grandi avec des musiciens. Les instruments sont ce qui me fait vibrer donc si je pouvais, je ne travaillerais qu’avec des instrumentistes. Mes sons préférés de l’album sont ceux où je suis accompagnée (“Martini”, “SIAMAJ” et “ULTRASENSIBLE”). Le saxophone est mon instrument préféré, dès que j’en entends tous mes sens s’éveillent. Sur “Martini”, on l’a utilisé de manière très groovy pour souligner le rythme de la chanson. Pour “ULTRASENSIBLE”, je voulais créer une trance, une sorte de crescendo parce que c’est ce que l’on ressent en tant qu’hypersensibles parfois. Je veux que les instruments aient une place première dans mes chansons, ne pas m’en servir comme d’un adlib. Parce que même moi, j’ai mis longtemps à me considérer comme chanteuse. Pendant très longtemps, je considérais que j’utilisais ma voix simplement comme un instrument. Je pense que c’est pour ça que, s’il y a des instruments dans mes morceaux, j’ai envie que l’on soit d’égal à égal.

À partir de quel moment as-tu arrêté de te dire que tu n’étais pas une interprète ?

En vrai, je le pense toujours. Je chante depuis que je suis petite, parce que ça me canalise. La sensation de chanter, dans mes cordes vocales, ça m’apaise. J’ai commencé à trouver une sorte de challenge parce que j’interprétais des chansons déjà sorties. Mais quand je crée, je ne pense pas à ce challenge, je ne me vois pas comme une interprète. Je ne vais pas écrire une chanson en me disant que je vais performer dessus. Je me dis juste que ma voix doit apporter simplement un vrai plus à la chanson. Comme j’ai cette charge d’écrire et de trouver des toplines, je pense pas à me dire “là faut vraiment que je prouve”.

Par rapport aux morceaux sur lesquels tu te challengeais, tu te souviens de certains qui t’ont permis de trouver ta voix ?

Pendant longtemps, je pense que toutes les chanteuses ont pris Beyoncé comme référence, parce que c’est la chanteuse au top en termes de performance vocale. Je savais que je n’avais pas son coffre. Je m’en servais comme exemple pour des exercices et quand j’ai commencé à écouter Sade, ça a été une révélation. Quand j’ai commencé à l’écouter, aux alentours de neuf ans avec le CD “Diamond Life” acheté par mon père, ça m’a fait un truc. Elle a un timbre de voix qui survole, qui est plus percutant que sa technique. Son grain et l’atmosphère de ses chansons sont ce dont je me suis le plus inspiré. Je veux créer des atmosphère dans mes chansons et faire ressentir des choses.

Tu disais que, pour la réalisation de cet EP, tu avais pu faire “briller ton âme”. Pour quelqu’un de peu introspectif comme moi, je me demandais si tu pouvais m’expliquer à quoi est-ce que ça correspond et comment le ressens-tu ?

Je pense être quelqu’un qui ressent beaucoup de choses, qu’elles soient belles ou douloureuses, que j’ai dû mal à exprimer verbalement et dans mon attitude avec les gens qui m’entourent à cause de la pudeur. La musique m’a permis de me libérer là-dessus. Ce que je n’arrive pas à verbaliser, je peux le mettre en intention dans la musique. Le fait de trop ressentir, d’être trop sensible m’a fait sentir en décalage avec les autres. Quand je vivais de choses dures, j’avais l’impression de ne pas réussir à deal avec. Faire de la musique me permet de mieux me comprendre. Ce que je mets en musique c’est mon âme et la musique, j’en ai besoin pour matérialiser qui je suis. Quand tu es très sensible, il y a un truc de méfiance par rapport aux autres. Tu ne sais pas comment ils vont le percevoir. Dans notre société, la sensibilité est perçue comme une faiblesse. Dès que tu commences à la montrer, tu es toujours méfiant vis-à-vis de sa réception. Être écouté, c’est très important et je ne me sens pas super représentée par rapport à ce que je ressens. Le fait d’aimer beaucoup, d’être très triste, ça m’a porté préjudice parce que j’ai peur d’en faire trop et donc ça me fait me refermer sur moi-même.

L’univers visuel qui sert l’EP est très poussé. Quelle place y as-tu trouvé ?

J’ai toujours visualisé ma musique. Quand j’écoute des musiques que j’aime bien, je les visualise toujours dans un contexte, “cette musique, il faut que je l’écoute devant la mer, celle-ci de nuit”. Je n’étais pas destinée à faire de la musique mais plutôt de la photographie. Il y avait une approche dans la photo et la vidéo où je n’arrivais pas à mettre mon intention personnelle dedans. Le fait de travailler pour les autres fait que je n’arrivais pas à me retrouver. J’arrivais à mettre un style mais pas une intention personnelle. Quand j’ai commencé à faire mes clips, j’ai trouvé le parfait combo pour compléter cette vision de moi.

D’où vient l’idée de cette pochette ?

J’avais une idée bien précise : je voulais que l’on me voit de face comme sur une photo d’identité et que l’on puisse voir mon tatouage “poesi” sur mes cordes vocales. Il y a un an et demi, je l’ai fait pour que ce soit le main character de cette pochette. J’ai réfléchi ensuite à la manière d’imager la poésie. J’ai une amie make-up artist (Inès Ouertani), qui fait plein d’expérimentations avec des fleurs ou de la peinture. J’ai vu qu’un jour elle collait des pétales de fleur sur son visage et j’ai trouvé ça incroyable. Si les fleurs sont posées de telle manière à ce que l’on croit qu’elles sortent de ma bouche, cela pourrait dire que je suis là pour raconter la poésie et qu’à chaque mot qui sort de ma bouche, des fleurs sortent et finissent par recouvrir tout mon visage.

Quand j’ai regardé cette pochette pour la première fois, j’ai pensé directement à un univers plutôt aquatique.

C’est trop marrant que tu me dises ça, j’allais justement t’en parler. À la base, je voulais faire une cover en rapport avec cet univers-là. Quand j’avais commencé à imaginer la cover, j’avais tout un champ lexical autour de la sirène. Je voulais y faire référence, malgré les fleurs, et c’est pour ça que j’ai la peau huilée comme si je sortais de l’eau. Mon rapport à l’eau est assez étrange. Quand je suis devant la mer, je me sens comme nulle part ailleurs. L’eau m’inspire par son côté très envoûtant. Je veux être l’interprète de ce qu’être dans ou au bord de l’eau me fait ressentir. Le mythe des sirènes m’inspire aussi. Ce sont des monstres marins pour autant avec une apparence envoûtante, je trouve que dans ma musique je peux faire des nappes vocales très apaisantes tout en faisant part de mes pires introspections. J’ai une voix lisse donc je pourrais dire des choses très lisses, mais finalement j’utilise un fond plus sombre que la forme.

Sur ton outro “Amore Mio”, je me demandais si tu avais eu comme référence “Cayendo” de Frank Ocean.

Pas du tout, mais je vois le rapprochement et je suis flattée que tu le mettes en parallèle. Le beatmaker, ça fait cinq ans que je saigne ses typebeats sur YouTube. J’étais tombée sur cette prod, il y a trois ans. Je l’écoutais en boucle. Je ne voulais pas poser dessus parce que je savais que je me la réservais pour un moment où j’avais une bête de topline.

Tu chantes italien dessus, c’est une langue que tu parles ?

J’aurais adoré. Ma mère est Italienne, mais ne nous a pas appris la langue. Une des comptines connues là-bas débute par “Ti amo, ti voglio bene, ti adoro”, qui est l’équivalent de “Je t’aime, un peu, beaucoup, à la folie”. C’est la seule phrase que je sais dire en italien parce que ma mère nous la répétait quand on était petit. Aujourd’hui, je prends des cours parce que je veux vraiment l’apprendre. Je trouvais ça beau de pouvoir le chanter sur un morceau que je dédie à ma maman. C’est une ode à l’amour maternelle, proche d’une berceuse.

Lorsque j’ai écouté ce morceau, je pensais justement que tu avais un enfant et que tu lui dédiais.

C’est trop bien, c’est exactement ce que je voulais créer. Je voulais que les gens ne sachent pas si c’était une ode à ma mère ou à des enfants. C’est aussi pour ça les paroles d’enfants. Je voulais que cette musique soit un hommage ainsi qu’une berceuse, comme pour marquer la transmission.

Pour finir, as-tu déjà des idées pour faire vivre ce premier EP ?

Pas du tout encore. Cet EP a été tellement drainant, j’y ai mis tellement d’énergie que je suis juste super contente qu’il soit sorti. Là, j’ai envie de refaire de la musique et ne pas forcément penser à ce que je vais faire. C’est comme si j’avais extrait un poids en moi et je suis contente que les personnes autour de moi ou les auditeurs puissent désormais mieux comprendre ce que je fais.

Propos recueillis par Arthus Vaillant
Photographies par Igor Kov

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