Lafleyne : “Les moments de calme, ou de tristesse, sont les plus inspirants”

Crédits : Léa Esmaili.

Parolière, interprète et multi-instrumentiste, Lafleyne offre à la chanson francophone une sensibilité rare. Son lyrisme exquis, mêlant tortures d’esprit à un egotrip taquin, dresse le portrait d’une âme solitaire mais incarnée. « Mais en fait ça mène à quoi ce que je suis en train de créer ? », s’est interrogée l’artiste en quête de sens dans ses écrits. En découlera la métamorphose plus assumée d’un récit devenu pleinement sien. Après « Flash », « sorte de teaser » à ses yeux, « GOLD DIGGER » est la suite qui fait briller de mille feux son art. Entretien.

Comment s’est amorcée la transition entre ‘‘Flash’’ et ‘‘GOLD DIGGER’’ ?

Des morceaux présents sur “GOLD DIGER” ont été faits avant “FLASH”. Je me disais qu’en termes de cohérence, c’était néanmoins mieux de les séparer de “FLASH”. Pour le public, ça la transition s’est faite en début d’année. Dans ma tête, ils sont nés en même temps.

Est-ce que c’est une suite en soi ?

Je dirais que “FLASH” est un très gros condensé de “GOLD DIGGER”. C’était une sorte de teaser.

Avant même de sortir “FLASH”, savais-tu que les deux allaient s’enchaîner ?

Pas vraiment. Dans mon processus créatif, je n’imagine pas les choses se faire à la chaîne. Quand je fais un morceau et que je le garde, le suivant ça va être pareil. Je ne peux pas faire le tri sur 12 morceaux. J’avais ces six morceaux et je savais que ça allait se suivre de cette manière.

Que ce soit lyriquement ou visuellement parlant, l’or prend une place de choix dans l’EP. Pourquoi ?

J’ai été marquée par un morceau court nommé “Les bisous de la reine” sur l’album “Sexy Planet” de Bonnie Banane. Je l’écoutais beaucoup. Je mets aussi beaucoup de bijoux. Je me rendais compte quand je rentrais chez moi après une sortie que je mettais beaucoup de temps à les enlever. Je me disais : “À quoi ça sert que j’en mette autant ?” Je le voyais un peu comme une carapace, comme quand on se maquille. J’ai compris que j’avais un rapport important avec l’apparence et en contrepartie avec les bijoux.

C’est une matière qui t’inspire musicalement parlant ?

Oui, vraiment. Quand j’ai sélectionné les prods pour cet EP, je voyais des trucs qui brillent, qui scintillent. C’est ce qui fait le lien avec le visuel.

Sur le morceau ‘‘Les yeux ne mentent jamais’’ tu dis « quel seum d’être seule avec mes questions sur chaque son ». Ce sentiment de solitude tu l’évoques dès tes premiers morceaux. Sur ‘‘Nana’’, tu disais : « ça fait bizarre d’être seule, ça fait bizarre d’être rien ». Je me demandais si ce sentiment était à l’origine de ton envie d’écrire.

Oui totalement. Quand tu es seule, c’est là que t’as vraiment le temps de réfléchir à ce que tu vis, ce que tu penses. Ce sont des moments, je trouve, durant lesquels tu ne penses pas du tout de la même manière que quand tu es avec tes amis ou du monde autour de toi. Les moments de calme, ou de tristesse, sont les plus inspirants pour moi car j’utilise ma musique pour faire le bilan sur ce qu’il se passe dans ma vie et ça ne peut m’arriver que quand je suis toute seule.

Crédits : Léa Esmaili

C'est un EP qui est très complet dans le champ émotionnel. Sur ‘‘Fashion Killa’’, tu établissais ce personnage beaucoup plus sure d’elle, qui est écrit à la 3e personne. Pour cet EP tout est passé à « je », comme si tu assumais plus cette partie de toi. Comment est-ce que tu le ressens ?

C’est dû à une maturité d’écriture, dans l’objectif d’assumer plus ce que je dis. “Fashion Killa”, c’était mon deuxième morceau, même “Nana” le premier était écrit à la 3e personne. J’ai appris, en écoutant d’autres artistes, que c’était encore plus touchant lorsque les morceaux sont écrits à la 1ere personne et que je préférais ces morceaux-là. Je les trouve plus impactant. C’était simplement une question de temps selon moi. J’aurais pu continuer à la 3e personne très longtemps si je n’étais pas tombée sur ces morceaux.

Avais-tu également l’envie que les auditeurs puissent s’approprier tes textes ?

Totalement, et pourtant certains s’approprient “Nana” quand même. Mais à partir du moment où j’ai sorti “Bye” (à la 2nde personne), je me suis dit que je préférais et que c’était plus facile d’exprimer les sentiments d’une personne.

Sur cet EP, pour le morceau ‘‘Pinocchio’’ tu réinvoques un personnage fictif, c’était le cas sur ‘‘Nana’’ avec les sirènes. Ce biais rejoint cet aspect sur lequel je trouve que ton écriture conserve une sorte de pudeur malgré le fait que ce soit très personnel. Comment la conçois-tu ?

Je ne pense pas que ce soit vraiment fait exprès et que c'est plutôt une conséquence de ce que je suis dans la vie, une personne réservée et timide même si sur certains morceaux j’ai envie de paraître autrement. Mais c’est plus facile, dans tes textes, d’incarner la personne que tu es vraiment.

De quoi parlais tes tous premiers textes ?

J’écrivais déjà sur la solitude. Ils parlaient à peu près tous de solitude à travers quelque chose d’autre parce que je n’arrivais pas à écrire les mots durs de la solitude. Il fallait toujours que ce soit par le prisme d’une relation ou autre, mais ils avaient tous ce prisme.

Crédits : Pablo Jomaron.

Sur tes précédents morceaux, tu chantais tes frustrations notamment lié à tes relations amoureuses : l’indécision ou le mensonge entre autres. J’ai l’impression que ça va encore plus loin sur cet EP, lorsque tu évoques notamment les répercussions qu’elles ont sur toi. Est-ce que ça a été plus difficile de mettre des mots dessus ?

Pour le premier morceau du projet que j’ai écrit, “Réflexion” ça a été difficile. Je voulais comprendre de quoi je voulais parler. Quand tu pars d’une page blanche, tu ne sais pas exactement ce que tu veux y mettre. Non seulement je me rendais compte que ce que j’écrivais, c’était dur. Mais c’était aussi dur de revenir dessus et terminer le texte parce que ça voulait dire relire quelque chose qui a été dur à écrire.

Ce qui explique les paroles : “J’écris des textes dont j’ai peur”, sur “Réflexion”.

Exactement, entre autres. Mais les textes qui ont suivi ont été beaucoup plus faciles puisque le ce premier morceau a servi de fil conducteur. Des morceaux ont quand même été durs à enregistrer, parce qu’il faut se remettre en tête tout un tas d’émotions. Ce n’était pas facile à vivre, mais plus facile que ce que j’avais imaginé. Et pour revenir sur cette phrase “j’écris des textes dont j’ai peur”, j’ai l’impression que les auditeurs l’ont compris comme si je parlais d’un texte dur à lire, à écrire. Seulement, j’ai aussi écrit ces mots parce qu’avant “Réflexion”, j’ai écrit plein de morceaux dans la lignée de “Fashion Killa” où justement je n’incarnais pas vraiment ce que j’écrivais. C’était purement de la fiction et je me demandais “mais en fait ça mène à quoi ce que je suis en train de créer ?”.

Quel rôle ont joué les producteurs qui t'accompagnent dans cette recherche de sonorités pour l’EP ?

Chacun a eu un rôle important. En premier lieu, Marcel Treize qui m’a aidé à arranger la V000 de “Réflexion”. Ils ont tous joué un rôle pour l’arrangement. Et, même si ce n’était pas forcément voulu, ils m’ont vraiment aidé à trouver la forme finale du projet. Par exemple, CSU et Leaf avec “Pinocchio”. À la base, je ne voulais pas de sonorités comme celles-ci dans mon projet. En recevant la prod, j’ai découvert que je voulais intégrer cet autre aspect plus égotrip. Armand [producteur et ingénieur du son, également chef de projet chez Shimmya, ndlr] m’a beaucoup aidé à avoir une vision globale sur le projet en termes de musicalité. Sans jamais être invasif pour autant. J’ai eu la chance de travailler avec des producteurs qui étaient musicalement cools avec moi.

Marcel Treize ouvre et ferme la porte de cet EP. Est-ce que c’était important pour toi ?

Ce n’était même pas fait exprès, mais ça ne m’étonne pas que ça finisse comme ça. C’est lui qui a fait “Cadillac” et c’est un grand ami. C’est celui avec qui j’ai les textes les plus vulnérables.

Tu te souviens de moments de doute lors de la conception de certains morceaux ?

En vrai non, parce que j’ai toujours considéré que le temps était précieux pour tout le monde. Donc je les avais beaucoup travaillé en amont dans ma chambre. À partir du moment où j’étais face au micro dans le studio, je savais que je voulais que ce soit ensuite sur les plateformes. Les morceaux ont sonné de manière encore plus cohérente que je l’imaginais donc je n’ai pas senti de doute.

En studio, je trouve que tu as la particularité de vraiment savoir où tu veux aller quand tu rentres dans la cabine.

J’ai l’impression que c’est une chose que je partage avec les autres artistes qui ont eu l’habitude de s’enregistrer seul dans un premier temps. Une fois que tu es passé par là, tu visualises directement le projet.

Tu t’es essayé à l’anglais sur quelques morceaux dont « Sick » avec Marcel Treize ou sur le feat avec Koshter. Sur cet EP, tu chantes tous les titres en français. Je me demandais comment tu réglais cette balance et quelle importance tu accordais au fait d’écrire en français ?

Pour moi, ça a toujours été hyper important d’écrire en français. Le hasard de ces deux morceaux vient du fait que la prod de “Sick” tient de l’électro-house et que je n’en ai pas beaucoup entendu en français. Mine de rien c’est très compliqué d’écrire en français sur de la house. De façon générale, quand ce sont des textes sur lesquels je sais que je veux aller vers quelque chose de profond, j’ai besoin que les gens comprennent exactement les mots que je veux mettre dessus. Je trouve que l’anglais est un peu plus libre d’interprétation. Souvent avec cette langue, on privilégie la musicalité aux mots. J’avais besoin de la précision des mots français pour ce projet.

Tu jouais de la flûte enfant, as-tu envisagé de l’incorporer à l’EP ?

Non parce que tu ne peux pas chanter en faisant de la flûte. Puis, la flute, ça avait un cadre très scolaire vu que j’en ai fait en conservatoire. Plus jeune, si je sortais la flute c’était juste pour répéter les exercices et ça n’a jamais trop été une source d’inspiration ni de créativité. Alors que le piano, c’est différent. Déjà, chez moi il est situé dans la salle à manger, la pièce centrale par laquelle tout le monde passe. Je prends mon petit-déjeuner et quand je finis, si je veux faire du piano, il est juste à côté. Donc c’était beaucoup plus instinctif pour moi de jouer du piano. De là est née l’envie de chanter dessus.

Sur “Flash” et “GOLD DIGGER”, la trame reste sensiblement la même. Pour la suite, est-ce que tu as déjà idée des sujets sur lesquels tu souhaites te livrer ?

En termes d’histoire, j’aimerais faire quelque chose d’assez différent. En termes de musicalité, en revanche, je pense que j’ai enfin trouvé mes “automatismes”. J’aimerais garder cette ligne. Si tout se passe bien, je devrais pouvoir écrire sur autre chose. Si tout se passe mal on aura juste une troisième parties (rires). Mais ça devrait aller.

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