Lolo Zouaï : “J’ai envie de revenir à des choses plus réelles”
Après Crying in the Carwash, amuse-bouche avant son troisième album très attendu, la chanteuse Franco-Algérienne basée aux États-Unis dévoile un double single témoin de sa dualité musicale. “UNHHH” et “jetlag” aux univers symétriques se répondent d’une manière propre à ce que construit l’artiste depuis le début de sa carrière. À la sortie du défilé de la marque italienne Sacai, Laureen Zouaï traverse un bout du 10e arrondissement pour arriver rue du Faubourg Saint-Denis. La chanteuse prend la pose avec une assurance et un détachement confortable, guide le shoot avec un sourire indélébile. “Ça faisait longtemps que je n’avais pas fait un shooting en pleine rue”, lâche-t-elle avant de se placer devant une épicerie qui rappelle le décor de ses premiers clips. Dans un élan de nostalgie, Lolo Zouaï a fêté les sept ans de son morceau “High Highs to Low Lows”, pièce fondatrice de son œuvre qui a “tout changé”.
Comment s’est passée la séance de danse organisée avec tes fans ?
La session s’est trop bien passée, Ambre (professeure de danse) est trop cool. Je pense que la chanson “UNHHH” a vraiment besoin d’être dansée. J’aime trop mes Paris lo-riders donc c’était cool de les voir dans un autre environnement. Ils étaient un peu nerveux parce que je suis venue à la fin pour les regarder et les filmer, je leur disais “no pressure”. C’était trop mignon.
Le rendu servira à un futur clip du morceau ?
Non, on a fait ça simplement pour s’amuser. Une session a aussi été organisée à New York, on voulait juste faire un meet-up. Mais peut-être que je vais apprendre la danse et utiliser la chorégraphie pour mes concerts.
Jeudi dernier, à une soirée organisée par Because, tu as interprété ton titre “High Highs to Low Lows”. Avant de commencer, tu as célébré son anniversaire (le morceau fêtait ses sept ans). Avec le recul, qu’est-ce que ce morceau a changé pour toi ?
C’est la première chanson que j'ai vraiment sortie et c'est la première fois que je faisais un son dans lequel je mélangeais le français et l’anglais. Ce morceau parlait vraiment de mon histoire avec la musique et son monde. Il y a eu tellement de hauts et des fausses promesses. À cette période, il y avait une période pendant laquelle j'étais en première classe dans un avion avec des stars puis je revenais chez moi pour travailler dans un restaurant. Donc ça traduisait ce mélange des deux vies, je sentais cette différence. J’ai écrit cette chanson et ça a tout changé. Je me suis dit ‘oh en fait c’est bien quand on parle de mes problèmes, ça marche’. Je n’arrive pas à croire que ce morceau a sept ans, la pandémie a un peu semé la pagaille en termes de chronologie. Je suis très fière de cette chanson et de cet album. J’essaye de retrouver les mêmes sentiments mais c’est dur quand tout a changé.
Tu le réécoutes parfois ?
Je ne réécoute pas trop mes chansons en général. Juste par moment, environ une fois par an je dirais où j’écoute l’album et je me dis ‘oh il est bien, j’aime bien ma musique’ (rires).
Ce morceau a fait décoller ta carrière, te permet d’avoir complétement changé de train de vie qui s’est beaucoup accéléré ces dernières années. Je voulais te faire réagir à ce que disait Dua Lipa, pour Vogue, lorsqu’elle a été interrogée sur la séparation entre sa vie personnelle et publique. “Quand je reçois à dîner, ça me va très bien de ne pas être le centre de l’attention. Parce qu’être le centre de l’attention, c’est devenu mon métier.”
Je ne suis pas autant le centre de l’attention que Dua Lipa (rires). Mais j’aime beaucoup séparer ma vie personnelle de la musique, même si c’est très dur pour moi de le faire. Je suis très focus sur ma carrière et je pense trop à ça. Quand je suis avec mes amis, j’essaye de me forcer à m’en détacher mais ce n’est pas possible parce qu’ils adorent ma musique et veulent toujours entendre mes nouveaux sons ou me poser des questions dessus. J’ai vu, peut-être que c’était dans le même entretien, qu’elle disait ne pas vouloir mettre sa vie personnelle dans sa musique et juste faire des chansons pour danser. C’est cool aussi mais ce n’est pas comme ça que j’écris même si j’adore sa musique.
Reviens-tu souvent, mis à part pour les fashion week, en France et à Paris, et quel rapport as-tu avec cette ville ?
Je reviens presque chaque fois que je sors un truc, depuis le début je fais ça juste parce que je pense que la fashion week est connectée avec la musique et j’ai toujours envie d’avoir une image forte entre les deux univers. Ça fait des années que je fais des relations avec les marques, parfois ça permet de faire des campagnes ou des partenariats qui ont de l’importance pour ma carrière.
Tu disais qu’habiter à New York ou San Francisco pouvait avoir un impact différent sur la carrière musicale d’un artistes. As-tu déjà pensé à quoi aurait pu ressembler la tienne si tu avais grandi à Paris ?
Je pense souvent à ça, à quoi aurait pu ressembler ma vie si j’avais grandi ici. Peut-être que si j’avais grandi à Paris, j’aurais fait de la musique en français et que ça se serait super bien passé, que j’aurais eu encore plus de succès à Paris. Je me demande aussi si je serais devenue chanteuse ou autre chose, vétérinaire, espionne, je ne sais pas.
Le premier lieu dans lequel nous avons tourné notre shooting aujourd’hui n’était pas choisi par hasard. L’imaginaire des magasins, et notamment des épiceries, revenait beaucoup dans tes premiers clips (So Real, High Highs to Low Lows, Lose Myself), pour Playgirl également avec la poupée emballée. Qu’est-ce qui t’inspire autant dans cet univers ?
C’est un set design sans avoir besoin de payer pour un set design (rires). Les couleurs, les designs des bonbons, les paquets de chips, j’aime trop toute cette palette et, aussi, ça me rappelle trop ma vie à New York quand je prenais quelque chose à manger dans ces delis.
Pour la pochette de ton dernier double single, tu réemploies quelque peu cet univers. Où est-ce que ça a été tourné ?
C’était dans un magasin d’électroniques. J’avais cette idée précise, je voulais le faire dans ce type de magasins. Avec le téléphone, tout ça. C’est un indice pour quelque chose dans le futur. Sinon, j’aime beaucoup les couleurs. Le décor, sans avoir besoin de faire de set design, des environnements qui sont déjà tout prêt avec un peu de désordre, massif.
Dans tes morceaux, lorsque tu évoques tes souvenirs, ils sont très souvent liés à une chose matérielle justement. Comment l’expliques-tu ?
J’ai toujours eu ce type de souvenirs dans la tête, des images, des objets. J’aime bien quand dans les chansons, il y a des paroles avec des détails très spécifiques, que l’on peut imaginer ou visualiser. SI j’écris une chanson et que le titre n’est pas évident à trouver, je me dis que je n’ai pas fait les choses de la bonne manière. J’aime bien les titres visuels. C’est tellement important dans cette industrie, la photo est jugée avant la musique.
Tout au long de ta carrière, hormis sur ce double single d’ailleurs, tu as joué sur le contrepied entre la production, la mélodie et tes textes, je prends en exemple ‘Beaucoup’ qui retrace une rupture amoureuse. Que vas-tu chercher dans ce mélange déroutant ?
J’aime bien immiscer mon sarcasme et l’ironie dans ma musique. Certains de mes auditeurs croient que 'Beaucoup’ ou ‘Brooklyn Love’ sont des chansons d’amour. Ces morceaux parlent de la même personne, c’est drôle. J’aime le contraste. Je me souviens, quand j’étais plus jeune de la chanson ‘We can’t stop’ de Miley Cyrus. La première fois que je l’ai entendue, je trouvais qu’elle sonnait comme triste alors qu’elle ne l’est pas et ça me gênait. Je n’arrêtais pas d’y penser donc peut-être que c’est quelque chose qui m’a suivi ensuite.
Tes périodes d’écriture correspondent-elles aux moment où tu ressens ces énergies ou retranscris-tu plutôt des émotions passées ?
J’aime bien écrire quand ça se passe mais j'aimerais apprendre à puiser aussi dans le passé. C’est plus facile d’écrire quand tu n’es pas heureux. C’était plus facile d’écrie le premier album parce que ma vie était dure, je n’avais pas de pression et beaucoup de confiance en moi. Pour Playgirl, il y a beaucoup de musiques R&B tristes mais à cause de l’imagerie certains pensent que c’est de l’hyperpop, alors que ça n’en est pas du tout. Écrire m’aide à ressentir les émotions, du moins à les matérialiser.
Certaines choses ont changé dans ton processus de création depuis HHTLL ?
Beaucoup de choses ont changé. Le premier album, je voulais juste m’introduire. Dire, voilà c’est ce qui se passe maintenant. Deuxième album, je voulais juste m’amuser et expérimenter et pour le troisième album à venir, j’ai envie de me retrouver, d’aller plus en profondeur, de vraiment essayer de ressentir les choses face auxquelles je bloque.
Sur ces deux singles, et depuis 2023 de manière générale, tu travailles beaucoup avec Oscar Scheller. Comment s’est faite la rencontre ?
J’étais à Los Angeles, j’ai rencontré Oscar et on s’est beaucoup amusé. Je travaille toujours avec Stellios aussi, même si il a aussi ses projets personnels. En ce moment, j’essaye de faire de la prod moi-même, je me teste comme productrice exécutive pour l’album.
J’ai l’impression qu’à la manière d’artistes comme Billie Eilish tu gardes toujours un cercle très restreint de producteurs.
C’est sûr, parce que c’est dur même si j’essaye de travailler avec d’autres gens. Je travaille aussi avec des producteurs en France aujourd’hui, vous allez voir (elle se tourne vers son attachée de presse, “Je devrais le dire? Non? Ok.") Je travaille aussi avec des artistes français, vous allez voir (rires).
Tu penses avoir du mal à déléguer ?
Déléguer c’est dur. J’aime bien travailler avec les autres bien sûr, mais j’ai toujours ma vision. S’ils la comprennent, c’est mieux. Tous les clips que j’ai sortis, j’ai fait les dernières retouches dessus. Peut-être pas seulement ‘Galipette’, mais le reste, ‘Caffeine’ et autres si parce que je sais comment j’ai envie d’être représentée.
Playgirl est ta première tentative d’album concept. Souhaites-tu suivre cette direction pour ce futur album ?
Non, je ne vais pas faire ça. Pour ‘Playgirl’, j’avais une vision et je voulais aller jusqu’au bout. J’étais très contente du résultat mais c’est très compliqué, maintenant j’ai juste envie de faire de la bonne musique.
Par rapport à ta direction visuelle, après le côté DIY de tes premiers clips et l’inspiration rétro futuriste établie sur Playgirl, qu’est-ce qui t’inspire aujourd’hui visuellement ?
J’ai envie de revenir à des choses plus réelles, avec de l’argentique, des films anciens japonais par exemple. J’aime bien faire les édits. Parfois l’idée me vient comme ça en un instant donc je suis toujours en pleine réflexion sur ma direction.
Propos recueillis par Arthus Vaillant
Photographies par Geoffrey Berland