Jon Vinyl : “Je veux que l’on puisse entendre mes chansons R&B en club”
Bientôt un an que le deuxième album de Jon Vinyl “Heartbreak Hill” a vu le jour. L’auteur et interprète R&B de Toronto y a proposé un ensemble rempli de vulnérabilité et de douceur, qu’il a développé sur une tournée nord-américaine de 13 dates. L’occasion de discuter avec lui de ses débuts, ses influences et ses ambitions.
J’ai appris que tu avais commencé la musique dans un home studio, peux-tu m’en dire plus ?
Lorsque j’ai commencé à faire de la musique, je suis allé dans un studio et je n'aimais pas vraiment le fait de ne pas avoir ma propre intimité. Je faisais du R&B très doux, et il y avait une bande de gars dans le studio qui me regardait. Je n’aimais pas ça. Je voulais aussi avoir la possibilité de créer à mon rythme et quand je le voulais. On a donc décidé de construire un studio à domicile. Mon père vit à Brooklyn, New York, dans le quartier de Bushwick et il est venu nous aider à poser des cloisons sèches dans notre sous-sol pour lui donner un meilleur aspect. C’est là qu’est né notre home studio. Depuis, on a énormément investi sur le matériel et beaucoup de mes plus grands titres sont sortis de là.
Dans quel univers musical as-tu baigné enfant ?
Ma mère avait un million de CDs; à l’époque on avait un système de haut-parleurs et elle écoutait beaucoup de classiques de Mariah Carey. Elle jouait aussi du Pink, beaucoup de classiques et de morceaux R&B profonds. On avait aussi 106 & Park, une émission populaire de R&B. On la regardait tout le temps (rires). On y entendait des chansons de Chris Brown, Usher… C'est avec ça que j'ai grandi. J'ai l'impression que c'était l'âge d'or du R&B pour être honnête.
Tes deux parents sont d’origine guyanaise, ça t’a influencé dans tes goûts musicaux ?
Honnêtement, pas trop. Ma mère jouait beaucoup de soca et d'autres choses de ce genre. Mais je ne pense pas que mon oreille, à ce moment, l'ait capté et compris autant que le R&B, le chant, le rap et le hip hop. Donc non, ça n'a pas joué un grand rôle dans ma perception de la musique.
Tu viens de terminer une tournée, comment l’as-tu préparée ?
J’ai dû travailler avec un chorégraphe, Xavier, qui est un professionnel reconnu dans le milieu de la danse à Toronto. Pendant deux semaines, nous sommes restés au studio tous les jours et il m'apprenait pas mal des choses. Honnêtement, c'était très dur, mais j'ai appris petit à petit. J’ai ensuite réalisé que si je danse sur scène, ce sera dix fois plus difficile de chanter en même temps (rires). J'ai donc commencé à aller à la salle de sport et faire de la musculation pour le cardio. J’allais au studio pour faire des chorégraphies. Ensuite, j'allais à la salle de sport, je faisais constamment du cardio et je me souvenais de tous mes mouvements, de toutes mes répliques. Puis il y a l'aspect musical de la chose. Il faut comprendre ses signaux et ses lacunes pour s'adresser à la foule. Il faut savoir ce que l'on va dire. Enfin, évidemment, il faut se souvenir des paroles. Mais je n'ai pas vraiment de problème avec ça. Quand tout ce travail a été effectué, j’étais prêt à partir en tournée ! J'ai aussi eu mon coach vocal d’ailleurs. Globalement, il y avait beaucoup de choses à préparer pour la tournée, mais ça s'est très bien passé. Je me suis toujours senti à l'aise.
Deux années se sont écoulées entre le premier et le deuxième album. Qu'as-tu fais entre-temps ?
J'ai juste vécu un peu… C'est difficile de faire des albums et des œuvres complètes parce que (il s’interrompt). Je ne sais pas, c'est juste que dans le climat actuel, on a affaire à beaucoup de gens qui sonnent de la même manière et à beaucoup de musiques assez similaires. C'est bien de prendre du recul et de faire attention à ce qui se passe et de vivre un peu pour que, au moment de revenir au studio, j’arrive avec une meilleure compréhension de ce que je veux présenter au monde. En général, pendant ces périodes, je continue à faire de la musique. Mais la plupart du temps, je me détends, je vis et j'essaie de comprendre quelles seront mes prochaines étapes. Pour moi, une chose qui a été vraiment difficile, c'est le contenu et la présence sur les réseaux sociaux. J'ai cette base de fans sur Spotify et Apple Music, mais cela ne se traduit pas vraiment sur mes comptes Instagram et TikTok. Ce qui est bizarre parce que je pourrais faire un spectacle dans 13 villes et vendre des billets. J'ai fait l'Opera House à Toronto, et il y avait 600 ou 700 personnes. Après, quand je regarde les commentaires sur Instagram, j'en ai une vingtaine. Les gens sont vraiment juste fans de ma musique, un point c’est tout. En ce moment, mon but est de comprendre cet écart et de le combler. Vous aimez ma musique mais maintenant, faisons en sorte que vous m'aimiez en tant que personne.
Le thème dominant de ton deuxième album est celui des hauts et bas émotionnelles liées aux ruptures. Comment l’expliques-tu ?
J'étais à Boston, et j'avais un spectacle à faire pour une université. Je suis passé devant une enseigne avec quelques amis, il y était écrit "Heartbreak Shop" ou quelque chose comme ça. Soudainement, j'ai crié "Heartbreak Hill". Mon manager a dit : "Yo, c'est un nom génial." Il m’a dit de le noter pour plus tard, et heureusement, parce que sinon ce serait sorti de ma tête immédiatement. Quand nous sommes rentrés à la maison, nous savions que nous devions créer quelque chose autour de cette notion. J'avais déjà quelques chansons qui correspondaient au thème du chagrin d'amour. L'aspect "colline" de ce titre signifiait prendre de la hauteur et regarder toutes vos émotions et tout ce qui s'était passé pendant votre chagrin d'amour pour mieux le comprendre. C'était l'idée derrière ‘Heartbreak Hill’.
Tu conserves la même équipe autour de toi pour te produire, comment est-ce que cette relation de travail est née ?
Ce sont des personnes avec qui j'avais travaillé auparavant. Mais si tu me demandes précisément comment nous nous sommes rencontrés, j’en ai aucune idée (rires). Je pense que j'avais envoyé un message direct à l'un des producteurs, et il se trouvait qu'il avait un studio. J'ai commencé à y aller avant le projet et à travailler beaucoup avec lui. Je suis devenu à l'aise pour travailler dans cet endroit. Ensuite, nous avions quelques auteurs. Le producteur Chris Young et l'un des auteurs, Justin Nozuka, qui est également un très bon artiste, puis un autre auteur Avery. Toutes ces connexions se sont faites très naturellement parce que je les connaissais déjà un peu grâce à la musique.
En t’écoutant, je me suis toujours demandé, pourquoi tu as si peu de featurings?
Oh! C'est une bonne question! C'est drôle, nous avons en fait eu cette conversation récemment, parce que je disais à une personne avec qui on travaille que nous sommes arrivés jusque-là sans aucune aide. Nous sommes indépendants. Nous avons juste une société de distribution. Au plus haut point, j'avais 1,5 million d'auditeurs mensuels et ça ne s’est fait sans personne d'autre. Ce qu’on a, ce sont des personnes qui aiment la musique, de beaux visuels et une bonne équipe de producteurs. Parfois, nous nous disons, si nous sommes allés aussi loin et que nous venons de faire une tournée et que les gens aiment la musique autant, imaginez si nous avions un featuring d'un artiste plus grand ou si nous étions plus visibles dans le domaine de la musique, parce que c'est une autre chose. Nous ne sommes pas vraiment dans les radars. Je ne suis pas invité aux BET Awards par exemple. Je pense qu'au Canada, nous sommes de l'autre côté du monde en termes de musique, du moins en Amérique du Nord, parce que les États-Unis sont un si grand marché, et nous y faisons des tournées, mais c'est à peu près tout. Nos fans nous connaissent, et c'est comme si j'étais bloqué et que personne d'autre ne le savait. Au Royaume-Uni, j'ai beaucoup de fans et aussi en Australie, ce qui est fou. En ce moment, le Brésil est mon numéro un. Les artistes au top streams, s’attaquent à d’autres marchés. Ils visent d’abord l'Amérique du Nord, puis ils vont en Europe, en Asie... C'est comme ça qu'ils conquièrent d’autres fans, ils peuvent ensuite faire des tournées dans les stades en Corée ou au Japon par exemple. Pour ce faire, ils collaborent à l’international, font des featurings et ainsi de suite.
La notion de “lâcher prise” revient à plusieurs reprises lors de l’écoute de l'album, dans ton titre C'est la vie tu dis ("Too bad I have no control, c'est la vie.") ou tu as aussi ton titre d’outro Let it go. À quoi fais-tu référence ?
L’idée générale que je veux transmettre est d'accepter qu’on ne peut pas contrôler certaines choses, mais aussi de réaliser que l’on ne veut pas, parfois, laisser d’autres choses nous quitter, que ce soit une relation ou une situation donnée. On ne veut pas l'oublier. On se dit : "C'est la vie, pourtant. C'est comme ça." Donc, l'idée de lâcher prise, c'est cet étrange équilibre entre l’attraction et la résignation. Parfois, tu te dis : "D'accord, je m'éloigne." Et d'autres fois, tu te dis que c’est pas vraiment ce que tu veux.
D'un autre côté, tu viens de sortir ton single Closure, où je ressens des énergies plus positives: j'ai l'impression qu’on se dirige vers quelque chose de différent par rapport à Heartbreak Hill.
Je suis vraiment dans un état d’esprit où je veux que les paroles de mes chansons soient un peu négatives/tristes, mais l'ambiance qui s'en dégage soit nettement plus joyeuse. En ce moment, je suis dans cet espace où je crée des disques qui font du bien et qui sont amusants, surtout pour l'été. Je vais parler des relations et de ce genre de choses parce que c'est mon fond de commerce. Mais honnêtement, c'est celui d’un peu tout le monde. Pour autant, j'ai envie de reparler de la vie parce que en réalité, mes deux chansons que j'ai sorties au début de ma carrière musicale, parlaient de la vie et des différents aspects de ma vie, j'y reviens petit à petit. Je veux entrer dans cet espace où l'on peut potentiellement entendre mes chansons R&B dans un club. Vous voyez ce que je veux dire ? Vous faites la fête avec des amis, et ce n'est peut-être pas une ambiance à la Travis Scott, mais c'est une ambiance suffisamment bonne pour que vous soyez avec des amis et que vous passiez un bon moment. Je m'oriente donc vers des chansons plus rythmées, plus rapides, plus lumineuses et joyeuses…C'est bizarre que tu aies remarqué ça! On dirait que tu lis dans mes pensées!
On parlait de featurings tout à l’heure, je me demandais si tu suivais des artistes torontois en pleine ascension. Que penses-tu de la direction que prend la musique R&B à Toronto, par exemple ?
Tout d'abord, j'ai l'impression que tout le monde est génial. Ils sont vraiment géniaux. Même les communautés de fans sont proches. Par exemple avec Dylan Sinclair et Savannah Ray c'est comme si tous leurs fans me connaissaient et que tous mes fans les connaissaient. C'est bizarre. Je pense qu'on devrait collaborer. Il y a aussi Tobi, qui est dans le milieu du rap. Je les connais bien mais je pense que chacun est dans son propre monde et fait son propre truc. Il y a une autre artiste qui s'appelle Aqylia et qui se débrouille très bien en ce moment.
Quelle est la prochaine étape pour toi?
D’abord, je veux juste sortir beaucoup de singles. Je veux simplement envoyer des morceaux. Ce qu’on fait toujours en tant qu'artiste, c'est de garder une tonne de chansons, en pensant savoir laquelle sera la bonne. En vérité, c’est le public qui décide. Donc, dans mon esprit, je pense avant tout à faire la meilleure musique possible et ensuite la sortir sous forme de singles pour essayer d’engendrer plus d’engagement autour de ma musique grâce à des chansons entraînantes et des chansons plus lentes aussi. On verra comment ça se passe. Je veux augmenter mes auditeurs mensuels. Ensuite, je veux aussi essayer de réaliser plus de collaborations et avoir plus d’opportunités de rencontres et, enfin, je dois travailler sur le côté contenu, où je galère un peu (rires).
Propos recueillis par Makia Niang