‘Déconstruction’ avec Ocevne : “J’ai découvert une voix chez moi que je ne pensais pas avoir”

La chanteuse suisse Ocevne a dévoilé son premier albums studio “Nishati”, le 15 mars. De sa volonté de revenir à la source du R&B qu’elle aime à son envie d’explorer de nouveaux univers, et surtout de s’amuser, Ocevne y dévoile une palette multiforme nourrie par les collaborations de Tuerie et du producteur BlackDoe. Une occasion en or pour inaugurer notre nouveau format “Déconstruction”, dans lequel l’artiste raconte la genèse, le processus de création et décortique l’aspect lyrique ou mélodique de cinq titres sélectionnés par nos soins.

Photographies et collage par Kezia Sakho, pour Shimmya.

“Got it”

Tu parles de ton enfance dans le début du morceau. Pourquoi ça te tenait à cœur d'en parler et pourquoi avoir choisi de ne pas trop en dire malgré sur cette période ?

Je n’avais pas encore de morceau qui parlait de mon histoire, de qui j’étais vraiment. Naturellement, un premier album c’est une présentation de l’artiste. J’avais envie que les gens qui m’écoutent apprennent à me connaître parce que je traite beaucoup des sujets de l’amour et des relations et j’avais vraiment envie de parler d’autre chose sur ce projet. “Got It” avait pour but d’être une introduction à qui je suis.

Comment as-tu crée ce refrain ?

Je l’ai fait durant notre premier séminaire en février 2022. J’avais beaucoup galéré, au début, à rentrer dedans. J’ai persévéré, en faisant des yaourts, jusqu’à trouver la mélodie parfaite. Finalement, le plus simple a été le plus efficace. Je ne voulais pas d’un refrain avec beaucoup de paroles. Lorsque j’ai enregistré, on s’est regardés avec le reste de l’équipe on s’est dits : ‘Mais c’est cool ça, let’s go!’ Avec BlackDoe, on travaille en symbiose. Parfois, sans même se parler on va se comprendre directement.

« “Tuerie m’a poussée dans mes retranchements” »

Quelles références avais-tu en te lançant sur ce morceau ?

J’étais partie sur un univers à la Doja Cat ou Ariana Grande. J’ai fait une sorte de mix des deux. Surtout le refrain, sur lequel je me suis amusée à mettre des bruitages et prendre une voix un peu différente de ce que je pouvais faire habituellement.

Dans le zapping vidéo réalisé pour l'album, on peut voir Tuerie qui tente de te pousser à aller plus loin parce qu'il a l'impression que tu as un blocage au niveau de la voix. Je me demandais, en plus de son apport potentiel sur l'écriture, ce qu'il t'a apporté musicalement.

Il m’a poussée dans mes retranchements. C’était compliqué, mais ça m’a débloquée. Au début, j’avais du mal à me prendre au sérieux ou simplement à croire que j’étais légitime à pouvoir chanter de cette manière. J’avais peur d’aller dans certains axes, par exemple, d’avoir une voix un peu plus poussée, tenir des notes plus longuement, moins être dans mes voix de tête et plus expérimenter les graves et ça c’est Tuerie qui m’a poussée. Il m’a aidée à me débloquer, à me faire passer un nouveau pallier.

“MIEUX QUE LES AUTRES” (feat. Monsieur Nov)

Quand tu commences le morceau, est-ce que tu as déjà un chanteur ou une chanteuse en tête ? Pourquoi avoir choisi Nov ?

J’ai fait le morceau seule de A à Z. J’avais fait mes deux couplets. Puis, en écoutant le son, je me suis dit : ‘Mais en fait, si Nov pose là-dessus, il va plier le morceau.” Pour moi, c’était important de l’inviter sur ce premier projet parce que, selon moi, c’est la référence du R&B en France. C’est vraiment pour faire un clin d’œil et aussi me faire plaisir (rires). J’aime trop sa musique. On avait des contacts en commun, ce qui a fait que l’on a pu se voir assez simplement. Je lui ai fait écouter beaucoup de morceaux de l’album et à la toute fin j’ai mis “Mieux que les autres”, en lui disant : “C’est sur celui-là que je te voyais bien.“ Il m’a dit que c’était son préféré donc c’était parfait.

Ocevne, par Kezia Sakho

Sur ce morceau, je note la présence de chœurs. Peux-tu nous raconter comment ils sont intervenus, quelle idée te guidait à l'origine ?

Dans la conceptualisation d’un projet R&B, si on revient vraiment à la source, c’est de la soul mais aussi du gospel. Pour moi, c’était donc une évidence. C’est pour ça que j’ai essayé d’en rajouter sur plusieurs morceaux. Sur “Mieux que les autres”, c’était pour porter le morceau. Quand tu as les chœurs, ça prend une toute autre dimension, une puissance en fait. J’ai les frissons rien que d’en parler (rires). C’est un de mes morceaux préférés. C’est le liant, ça rapporte de la qualité et j’avais besoin de sentir ça.

“JEUX D'ENFANTS”

Avec des altos, des violons et toujours des chœurs, c'est un morceau qui sonne comme une grande réalisation. D'où vient cette idée ?

Avant de commencer l’album, on avait un paperboard sur lequel j’ai noté toutes les idées que j’avais. Il y avait un son qu’on appelait le ‘007’. On voulait que le début sonne comme l’introduction d’un film. J’avais envie d’aborder un sujet qui me tenait à cœur, un sujet grave en le sublimant avec ces instruments. On a fait venir des instrumentistes et le fait de rajouter les chœurs a, encore une fois, matérialiser cette notion de puissance.

Qu'est-ce qui est venu en premier entre le thème lyrique et les mélodies ?

Le thème lyrique, ce qui a rendu la chose un peu plus compliquée. D’habitude, ma manière de procéder en studio c’est : d’abord le yaourt puis je vais réfléchir aux thèmes que j’ai envie d’aborder avant d’écrire. Là, j’avais envie de parler d’un sujet bien précis et il fallait donc trouver la mélodie qui pouvait s’aligner avec cette idée. C’est sur ce morceau où Tuerie m’a particulièrement poussée. J’ai découvert une voix chez moi que je ne pensais pas avoir. Il y a une certaine puissance que je ne pensais pas être capable d’avoir, donc je trouve que c’est un super beau morceau.

Comment tu gérais tout cette équipe, est-ce que tu avais le lead et des idées très précises par rapport à la direction ou tu t'es plutôt laissé porter ?

Tout était orchestré, sans vraiment l’être. J’avais une idée bien précisé du morceau que je voulais. Je pense que ça a facilité le processus. J’avais une vision et c’est pour ça que c’est beau, car tout s’est aligné, que ce soit avec Tuerie ou BlackDoe mais aussi les invités comme Monsieur Nov ou Franglish, ça n’a été que des bonnes expériences.

Sur Instagram, tu t’es filmée en train d’écouter les chœurs, on peut voir un grand sourire sur ton visage. Ccomment leur apport t'a inspiré vocalement?

Leurs voix m’ont inspirée dans la mesure où j’avais l’impression de revenir aux bases. D’avoir ce luxe, ça m’a donné encore plus envie de me battre et de mieux défendre ce projet.

“HAPPY JERSEY”

Dans quel contexte a été crée ce morceau ?

Alors, ce n’était pas le jour de mon anniversaire mais le lendemain c’était celui de Tuerie. Et il ne nous l’avait pas dit. On crée le morceau, c’était hyper fun sans prise de tête. On a terminé le titre, il devait être 23h50. On était assis, on parlait et Tuerie regarde BlackDoe et lui dit : “Tu peux remettre le titre ?” À minuit, il nous dit finalement que c’est son anniversaire. On l’a regardé en mode : “Mais quoi, pourquoi tu nous l’as pas dit avant ?” C’était trop marrant.

C'était une première pour toi, qui a eu l'idée de faire de la jersey ?

C’est moi, je voulais trop faire un morceau comme celui-là. Je pense que c’est Lil Uzi Vert qui m’a matrixée. J’ai beaucoup regardé ses vidéos, dans lesquelles il danse, pour faire le morceau. C’est un style que j’adore, à petite dose, mais que j’aime vraiment beaucoup. Aussi, je n’étais pas rassasiée par les sons d’anniversaire que je pouvais écouter donc j’avais vraiment envie d’en faire un. Histoire de pouvoir répondre à ce questionnement : “ok c’est mon anniversaire, qu’est-ce que j’ai envie d’écouter ?”

Comment ça s'est passé au niveau de tes placements ?

Très naturellement. Avec BlackDoe on a une manière de travailler bien rodée. Il fait ses trucs, des tests et à côté il y a toujours un micro qui est relié. Ce micro, tout le monde peut l’entendre, je ne suis pas enfermée dans une bulle. Je fais mes mélodies, mais si Tuerie a une idée, je lui passe le micro. C’est très organique, il n’y a pas beaucoup de réflexion. Pour ce son encore moins parce que c’était purement de l’amusement. En plus, à ce moment-là ma meilleure amie m’avait fait une surprise et était venue de Suisse pour le deuxième séminaire. On était en train de s’ambiancer, elle dansait et je disais ‘go bestie’, ‘go bestie’. On s’est regardés en se disant : “Eh, mais ça matche en fait.”

Il sonne comme un morceau construit en équipe.

Clairement. Même ma meilleure amie qui ne chante pas proposait des toplines. C’était vraiment un morceau fait tous ensemble, on le ressent dans le morceau. Il y avait une vraie cohésion. “Happy Jersey”, c’est juste le résultat de cette synergie qui régnait à ce moment-là.

C'est un choix fort de mettre ce morceau en outro, qui est une place parfois sacrilisée. Pourquoi ce choix ?

J’avais envie de finir sur une note sucrée, qui fait du bien. À la base, mon choix d’outro c’était “Mieux que les autres”. C’était un parti pris puisque ça aurait été une sorte de bouquet final. Mais, j’avais envie que, quand on écoute mon album, on ait la pêche. Ce côté ‘ok je me suis mangé tout ça, donc je me sens bien, j’ai envie de danser’. Cette réflexion fait un peu partie de mon caractère et me ressemble.

BOULEVARD MAGENTA

Sur certains morceaux de l'album, dont “Boulevard Magenta”, tu as fait en revanche le choix d'une production minimaliste, parfois mono-instrumentale. Peux-tu me parler de ce choix qui fait de ta voix le principal instrument ?

C’est un exercice que j’aime beaucoup parce que j’ai commencé comme ça. Dans ma chambre, en a capella, avec mon téléphone. De revenir à la source, ça fait du bien. J’avais aussi besoin d’un son reposant. Je trouve que la bossa s’y prête vraiment. Si tu fermes les yeux, ça te transporte dans un autre univers. J’aime ce contrepied, d’utiliser un truc très doux pour parler de choses plus graves.

Comme sur ‘Cheasecake’, c'est sur le deuxième couplet que tu te laisses le plus de liberté au niveau des variations mélodiques. Tu te rappelles du moment où t'as eu cette idée ?

Oui sur “Cheesecake”, il me semble que j’étais bloquée sur le deuxième couplet. Tuerie a commencé à faire des toplines, ça m’a débloquée et ça a été le mix de nos idées qui a donné ce couplet.

Finalement, en écoutant cet album, j'ai l'impression que c'est un collage de tout ce que tu aimes et de ce qui fait l'artiste que tu es. Tu l'as travaillé en ce sens?

Oui, je dirais que c’est du Ocevne (rires). Si tu veux apprendre à me connaître, écoute ce projet. Même dans les variations de style, les thèmes qui sont abordés. Quand je parlais de premier album, c’est ce que j’avais en tête.

Propos recueillis par Kezia Sakho

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